01 - Un pas vers l'inconnu (07/11/16)

Le rendez-vous est pris depuis belle lurette, par le biais d'un SMS laconique m'indiquant l'adresse de l'école, une date, une heure et le prénom de mon interlocutrice dont j'apprendrai plus tard qu'elle est responsable du secteur des activités périscolaires.

15h15, dans ce hall d'école aux allures très 60's, je suis là. J'attends : aurais-je des précisions sur le groupe, sur le lieu où je vais me trouver pour donner les cours, sur des élèves présentant des difficultés. Ma mission : une heure trente de travail théâtral pour des enfants de primaire, c'est peut-être un peu long mais qu'importe, j'en saurai davantage bientôt, me dis-je.

15h30. Mon rendez-vous n'est pas là (il arrivera plus tard car "retenu dans une autre école"). C'est une intervenante qui finalement me donne les explications élémentaires sur le mode de fonctionnement des activités périscolaires. Elle me remet la liste des élèves dont j'ai la responsabilité.

Les enfants, toutes classes confondues, commencent à sortir dans la cour. Trois ou quatre curieux, ravis de voir une nouvelle tête dans l'école, viennent me demander s'ils sont dans mon groupe : ce sont des CP et plutôt que de leur apporter un 'oui' ou un 'non' catégorique, je préfère leur répondre par des questions, histoire de mesurer l'ambiance générale de l'école. Si l'école est difficile, je pourrais le savoir en écoutant la façon dont ils me répondent.

Ouf ! Tout semble normal. Bien loin de ce que montre la télévision des écoles entourées de barres d'immeubles, comme c'est le cas ici.

"Les films en noir et blanc"

Enfin, une foule de gamins excités se dirigent vers moi, ce sont mes CM2. Ils disposent de quelques minutes pour se défouler dans la cour avant d'attaquer la séance. Je les regarde et essaie d'imaginer ce que leurs attitudes peuvent me révéler de leur personnalité. Sans grand succès, je l'avoue. Ils m'interrogent, je réponds. Ils me demandent s'ils vont faire des improvisations ou il faudra jouer un commerçant, un voleur et un gendarme. J'essaie de leur expliquer qu'on va d'abord s'intéresser à des situations sans forcément parler ou jouer quelque chose. Dans la foulée, j'en profite pour indiquer qu'on n'a pas besoin de parler pour faire du théâtre et je leur demande s'il connaissent Charles Chaplin. Quelques-uns répondent sans enthousiasme et en substance : "ah ouais, c'est les films en noir et blanc, c'est nul". Ok. Va falloir essayer autre chose...


Estampe : Sylvaine ACHERNAR

La sonnerie retentit. Clara, la responsable avec qui j'avais rendez-vous vient me présenter ses excuses pour son retard et me demande si le petit hall menant aux classes me conviendrait pour dispenser les cours de théâtre. D'une superficie d'environ 40m2, jalonné de portes donnant sur la cour de récréation, une partie se trouve tout-en-longueur (environ 15m2) : je me dis que c'est pas l'idéal mais accepte, voyant que les locaux disponibles ne sont pas nombreux et pour éviter de perdre du temps à aller au gymnase situé à dix bonnes minutes à pied.

Premier contact

En compagnie de mes élèves, je rentre dans ce qui sera notre plateau de jeu et pense à Daniel Pennac et à ses expériences d'enseignant lues récemment :

"... l’appel est le seul moment de la journée où le professeur a l’occasion de s’adresser à chacun de ses élèves, ne serait-ce qu’en prononçant son nom. Une petite seconde où l’élève doit sentir qu’il existe à mes yeux, lui et pas un autre. Quant à moi, j’essaye autant que possible de saisir son humeur du moment au son que fait son « Présent ». Si sa voix est fêlée, il faudra éventuellement en tenir compte."
Daniel Pennac - Chagrin d'Ecole

Même si je ne suis pas enseignant, je trouve son analyse très pertinente pour faire connaissance. Donc, Appel ! On se met en cercle : j'égrène les prénoms de ma liste et y associe un visage, un regard, une voix. Mais c'est le bazar : on parle fort, on ne s'écoute pas, on se bouscule. J'ai beaucoup de mal à demander le silence et l'écoute de chacun des élèves. Qu'à cela ne tienne, je dois les intéresser, stimuler leur curiosité.

Regard périphérique

Après m'être rapidement présenté, nous attaquons : je leur demande d'essayer d'occuper l'espace (que j'ai pris soin de délimiter - environ 20m2) à leur rythme, comme ils le souhaitent. Je suis assez étonné de voir qu'ils jouent d'emblée le jeu. Même s'il y a beaucoup de parasites (un groupe de 3 filles commence à me mener la vie dure), globalement, les élèves semblent contents de faire l'exercice. J'insiste pour qu'on se regarde dans les yeux lorsqu'on se croise, qu'on soit attentif à ce qu'on regarde et ce qu'on voie, c'est à dire d'avoir conscience de la notion de regard périphérique.


Photo : Sylvaine ACHERNAR

J'avais déjà mesuré, sur scène comme au quotidien, combien cette notion est importante mais c'est à la suite d'une formation professionnelle au CREA d'Aulnay que j'ai pu observer les bénéfices que cela produisait sur les comédiens en apprentissage. Les sensibiliser à l'idée d'ouvrir son regard permet de se rendre disponible au monde, prêt pour l'aventure théâtrale. J'indique à mes élèves qu'être attentif à ce qu'on voit est tout aussi important qu'être attentif à ce qu'on regarde, au théâtre comme dans la vie. Cela permet d'avoir conscience de son corps, de sa place dans l'espace et de ce qui nous entoure pour disposer ensuite de toutes les informations pour agir.

Mon petit discours ne fait pas flop et curieusement je ne m'attendais pas à voir, parmi mes auditrices, l'une des élèves du "Gang des trois" (nous l'appelerons Victoire pour la suite du récit). Je surprends l'expression de son regard comme si je venais de lui faire une confidence. "Bon signe" me dis-je...

Audace et initiatives

Nous continuons à faire les exercices individuels, lesquels sont jalonnés d'appels au calme et au silence, sans trop de succès toutefois. Nous parvenons, tant bien que mal à terminer les exercices que j'ai prévus. Pour un premier cours de théâtre, je suis agréablement surpris que la grande majorité accepte de se préter à des exercices plutôt difficiles, demandant d'avoir à la fois de l'audace et de prendre des initiatives. Cela me donne des idées pour la suite...

Pour terminer le cours, nous nous mettons en cercle. Je félicite les élèves et les remercie puis demande à chacun de rappeler son prénom et de formuler, avec un seul mot, le ressenti du cours.

17h00. Je décide de ne pas prendre les transports tout de suite. Je traverse le quartier où s'étendent logements sociaux, bureaux et batiments industriels. Je repense à cette séance. je trouve que les filles ne m'ont pas épargné en n'écoutant peu ou pas du tout, en ne respectant pas leurs collègues. Je me dis que ce n'est qu'un premier cours. Le second sera forcément différent. Je n'entends pas me laisser déborder. J'ai deux avantages, j'écris tous mes cours, ce qui signifie que je sais exactement ce que je souhaite leur faire faire, où je veux les emmener, et surtout, je sais faire du théâtre ! :)

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